L’achat local : différentes teintes de bleu

par Karine Casault et Isabelle Demers

Cette crise mondiale que nous traversons nous place tous, prêts, pas prêts, face à une réalité que nous pressentions, confusément, sans y être réellement confrontés : que nous sommes extrêmement dépendants des marchés internationaux.

Nous apprécions tous nos bananes et nos avocats, mais que se passe-t-il lorsqu’il ne peuvent plus se rendre à nous ? Cela fait des décennies que l’on fait faire, à l’étranger, à faible coût, des produits, pour mieux les racheter ici. Que se passe-t-il quand ces produits sont nécessaires ici, mais que l'approvisionnement n’est plus possible ?

On ne réalisait pas la fragilité des chaînes d’approvisionnement jusqu’à ce que la COVID-19 nous frappe tous. Fort.

Depuis, la prophétie autoréalisatrice de la pénurie de papier de toilette et des allées d’épicerie vides nous ont fait réaliser que cette abondance, cette diversité des biens, ne pouvaient être prises pour acquis.

Les gens se sont mis à se construire des poulaillers, à penser à des caveaux, les pépinières ont vu une hausse fulgurante de la vente de semences. Bref, l’autonomie alimentaire n’est plus un obscur concept de ‘preppers’ paranoïaques qui prévoient la fin du monde.

C’est devenu ‘mainstream’.

Et avec cette volonté d’autonomie, la montée de l’intérêt pour la production locale, et son corollaire, l’achat local.

Il a fallu une crise grave, mondiale, pour qu’on en parle vraiment.

Mais, c’est quoi, l’achat local ?

Est-ce que c’est :
fait ici, par une matière première d’ici?
fait ailleurs, mais vendu ici?
vient d’ailleurs, mais est transformé et vendu ici?

Est-ce qu’acheter chez Dollarama, c’est acheter local ? Selon le Panier Bleu, oui.

Est-ce qu’acheter un Pepsi, c’est acheter local ? Selon la filière agroalimentaire du Québec (Aliments du Québec), oui.

Pour vous, c’est quoi ?

Comme la moyenne des ours, nous nous familiarisons tranquillement avec les différentes teintes de l’achat local.

De bleu pâle (vendu ici), à bleu foncé (fait et vendu ici), nous progressons tranquillement dans la gamme chromatique de l’achat local. Ce faisant, nous forçant aussi à questionner nos valeurs, notre capacité à les rencontrer - l’importance relative de nos choix.

On comprend peut-être ce que Laure Waridel disait, il y a déjà plus de 10 ans, que : “acheter, c’est voter”

Comme pour l’environnement, chaque geste compte. Si chaque Québécois consommait pour 5 $ de plus par semaine en produits locaux, cela pourrait représenter 1 milliard de dollars supplémentaires injectés dans l’économie québécoise, selon le ministre Fitzgibbon.

Et l’achat local et l’environnement sont reliés : moins nos biens parcourent de km, moins de GES ils produisent ! Le bleu et le vert sont liés, c’est indéniable.

Pour un dollar dépensé chez un commerçant local, plus de la moitié restera ici comparativement à moins de 20 % pour un groupe international.

Évidemment, on ne peut être bleu foncé à tout coup. Qu’on le veuille ou pas, le Québec, n’aura jamais de mines de bauxite sur son territoire.

Mais, tout comme pour la conscientisation à la cause environnementale, prioriser l’achat local est une série de petits gestes qui font une grande différence avec l’impact du nombre.

Cette crise aura donc au moins un effet positif, rendre cette notion, qui était encore marginale hier, courante dans le langage actuel.

Espérons que cette tendance perdure.

Que les gens, achat par achat, consomment de plus en plus local.

Vraiment local.

Que le coût à l’achat soit vu réellement comme un coût d'opportunité positive et pas seulement considéré selon le prix de l’étiquette.

C’est un cycle victorieux : plus la chaîne locale sera forte, plus sa capacité à répondre aux besoins et à la demandes sera forte aussi….

De cette façon, on peut penser qu'éventuellement la norme sera locale.


Karine Casault